sábado, 26 de janeiro de 2013

BRÉSIL : «AVOIR MA MAISON, C’ÉTAIT MON RÊVE»

Libé des solutions Une opération immobilière à l’échelle du Brésil permet à des familles pauvres d’être propriétaires. Un million ont pu acheter leur logement.
Dec. 2012. Par HÉLÈNE SEINGIER, AURÉLIEN FRANCISCO BARROS (Reporters d’espoirs)

Avant de recevoir son deux-pièces tout neuf dans le quartier Bairro Carioca, à Rio de Janeiro, Geisa habitait une baraque de planches et de briques dans une favela. «Des appartements comme ça, je n’y entrais que lorsque j’allais faire des ménages chez les autres», dit-elle, rayonnante, recevant dans son nouveau salon. Cette jeune grand-mère de famille nombreuse vend des cosmétiques au porte-à-porte. Comme les 1 000 familles du quartier, elle gagne moins de 1 600 réaux (600 euros) par mois. Pourtant, ces habitants sont officiellement propriétaires de leurs 43 m carrés. Un petit miracle rendu possible par le programme «Minha casa, minha vida» (Ma maison, ma vie), mis en place par le gouvernement Lula.


 
HLM. A l’origine, en 2009, Brasília voulait doper le secteur du BTP pour muscler l’économie du pays face à la crise. Ces maisons tombaient à pic pour combler (un peu) le déficit abyssal de logements. Le gouvernement y a installé des familles pauvres, à la façon de nos HLM, mais en leur proposant d’en devenir propriétaires.
Grâce à un fonds de garantie national, les familles qui gagnent entre 1 607 et 4 821 réaux par mois (600 et 1 800 euros) accèdent à des emprunts immobiliers que des banques ne leur auraient jamais consentis. Pour les plus pauvres, l’achat est même subventionné : les mensualités peuvent descendre jusqu’à 27 réaux par mois pendant dix ans. «C’est symbolique, ça les incite surtout à payer l’électricité ou les impôts, explique Marleide da Silva Nunes, assistante sociale. Lorsqu’ils vivaient dans des quartiers illégaux, ils ne recevaient pas ce genre de factures.»

Maisons champignons. La première version de «Minha casa, minha vida» manquait singulièrement de jugeote urbaine. L’Etat payait les travaux aux constructeurs privés mais leur laissait le choix de l’endroit. Les maisons champignons ont donc poussé loin de tout, là où le terrain était moins cher, et personne n’a pensé à construire des écoles ou des commerces à proximité. «C’est positif que le gouvernement se soucie enfin du logement, estime Adauto Cardoso, urbaniste à l’université fédérale de Rio. Mais si les quartiers ne sont pas insérés dans le tissu urbain, ils risquent de devenir à leur tour des favelas.» A Rio, par exemple, des lotissements excentrés sont tombés sous la coupe d’une milice. Il a fallu faire appel à la police militaire pour la déloger.

Malgré ses erreurs de jeunesse, le programme a connu un succès fabuleux : début décembre, 1 million de ménages avaient officiellement reçu les clés de leur nouveau chez-eux. La Présidente, Dilma Roussef, a promis 2,4 millions de logements supplémentaires d’ici 2014. «Cette fois, nous positionnons les lotissements près des centres urbains, décrit le ministre de la Ville, Aguinaldo Ribeiro. Les communes candidates doivent aussi fournir tous les équipements publics nécessaires.» Le Bairro Carioca possède en effet ses terrains de foot et son poste de santé. Des files de gamins en uniforme serpentent vers l’école toute neuve et des ouvriers s’activent dans le futur marché couvert, censé créer des emplois. Toute en chair et en sourires, Alessandra Cassiano da Silva dit avoir déjà trouvé des clientes pour ses manucures et des amateurs pour les beignets qu’elle confectionne. «Avoir ma maison, c’était mon rêve», déclare la jeune propriétaire en remerciant le ciel du regard. Son mari est pompiste de nuit, le métro tout proche lui fait gagner un temps fou pour se rendre au travail.

Solidité. «Minha casa…» est une fierté pour le ministre de la Ville : «Nous participons à la relance de l’économie, nous permettons à des familles pauvres de devenir propriétaires et nous créons de l’emploi pour des personnes peu qualifiées.» Sur les six premiers mois de 2012, le programme a permis d’embaucher 1,4 million de personnes et a contribué à 0,8% du PIB.

La visite d’un chantier à Frei Caneca, dans le centre de Rio, permet de comprendre le montage économique de cette gigantesque opération immobilière. En comparaison avec la favela São Carlos, colline débordante de frêles baraques aux couleurs pastel, le chantier a l’air trop rangé, les immeubles trop solides. Des dizaines d’ouvriers montent des murs en moules d’acier puis y injectent du béton ultrafluide. En vingt-quatre heures, les parois sont sèches et les moules servent à monter l’immeuble voisin. «Avec cette technique à la chaîne, nous construisons un immeuble de cinq étages en une semaine, explique le chef de chantier. Nous livrons donc les logements à un prix très bas : 62 938 réaux pièce.» C’est l’Etat brésilien qui paie l’entreprise de BTP, tandis que l’Etat fédéré de Rio fournit le terrain - celui de l’ancien pénitencier - et finance les égouts et l’adduction d’eau. «Des programmes comme celui-ci peuvent se mettre en place dans tous les pays où le secteur du BTP est structuré», assure l’urbaniste Adauto Cardoso.

Autogestion. La version communautaire de «Minha casa…» va plus loin : l’Etat verse l’argent aux associations de futurs habitants. «Les gens assument une partie du chantier et contractent avec des constructeurs pour faire le reste. Ça permet de contrôler les travaux au plus près», explique le chargé du programme au sein de la fédération des associations de droit au logement. Ces chantiers autogérés sont encore marginaux mais devraient faire école.
Site:
http://www.liberation.fr/monde/2012/12/23/bresil-avoir-ma-maison-c-etait-mon-reve_869686

RÉPRESSION ET RÉNOVATION URBAINE DANS LES FAVELAS


 
 


Rio de Janeiro endosse sa tenue Olympique «Laissez rugir l’esprit animal du secteur privé», conseillait récemment l’hebdomadaire britannique «The Economist »à la présidente brésilienne Dilma Rousseff, confrontée à un ralentissement de la croissance dans son pays. Il est un domaine où résonnent déjà les feulements des investisseurs: celui de l’immobilier à Rio de Janeiro, un secteur dopé par la préparation d’événements sportifs planétaires.
Par JACQUES DENIS <<Journalistes>> et ANNE VIGNA <<Journalistes>>  JANVIER 2013 – LE MONDE diplomatique
C’est la grand-messe du Brésil cathodique : chaque soir, le pays vibre aux rebondissements d’«Avenida Brasil », la telenovela qui oppose depuis six mois la brune Rita à sa bellemère, la blonde Carminha. L’une a grandi dans la zone périphérique populaire de Rio, abandonnée par l’autre qui a vendu la maison du père, mort sur l’avenue du Brésil, symbole de ce pays à deux vitesses. Derrière cette intrigue des plus basiques se trame une tout autre histoire : «C’est la préparation psychologique d’une partie de la population, les classes moyennes des beaux quartiers de la zone Sud, au fait qu’elles vont bientôt devoir déménager dans la zone Nord», analyse Eduardo Granja Coutinho, professeur en sciences de la communication à l’Université fédérale de Rio. A l’em croire, un phénomène de société télévisuel peut donc en cacher un autre, moins virtuel : la flambée des prix qui fait de Rio un immense Monopoly. Une des chansons-phares de la série ne s’intitule-t-elle pas Meu Lugar, mon logement? Se loger, c’est le sujet du moment. A la plage, dans le bus, dans les dîners, on n’entend parler que de ça. Depuis plusieurs années, la fièvre spéculative a peu à peu fait grimper les prix et, du coup, la pression sur les Cariocas (les habitants de Rio), qui consacrent désormais une large part de leur budget à ce poste. Entre janvier 2008 et juillet 2012, la ville a connu une hausse des prix de 380% à la vente et de 108% à la location. Faute de moyens, certains songent même à déménager dans des quartiers où ils ne mettaient jamais les pieds auparavant : des favelas que les autorités ont entrepris deméthodiquement «pacifier»  – et ce avec d’autant plus de vigueur qu’il faut préparer la Coupe du monde de football de 2014 et les Jeux olympiques de 2016, deux événements qu’accueillera Rio. Vidigal, un morro (colline) bien connu de tout Carioca puisque situé face à l’océan, dans la continuité des quartiers huppés de Leblon et d’Ipanema. Le 13 novembre 2011, les unités de police de pacification (UPP) ont pris possession des lieux. Depuis, la donne a changé. Il y a encore un an, les gamins se baladaient avec de gros calibres ; aujourd’hui, on ne cesse de croiser des policiers sur l’Estrada do Tambà, l’artère principale et l’unique voie d’accès à cet enchevêtrement de lacets bitumés, de venelles de briques et de vrac. Ce n’est pas le seul changement visible : « Le  ramassage des poubelles fonctionne, l’électricité aussi, et il y a même un guichet automatique de banque en trois langues… Les services publics sont de retour », constate le capitaine Fabio, responsable de l’UPP locale. Et, à voir les panneaux qui annoncent démolitions et travaux, d’autres bouleversements s’annoncent dans cette fièvre d’expansion immobilière. A l’association des habitants du quartier, on se félicite de ce retour à l’ordre. Mais le président Sebastião Alleluia évoque d’autres dangers : «Nous basculons dans une réalité nouvelle, puisque nos terrains sont désormais convoités par des investisseurs. La pression est devenue immobilière, et  la spéculation notre réalité. Ce n’est qu’un début: on voit débarquer des Brésiliens et surtout des étrangers poussés par la crise européenne et attirés par le potentiel de nos quartiers. Un appartement en duplex situé dans le bas Vidigal, qui était estimé à 50 000 reals [environ 18 000 euros] voici un an, se négocie aujourd’hui à 250 000 reals ! » Une enquête de la Fondation Getúlio Vargas indique que la hausse des loyers était supérieure de 6,8% à celle des autres quartiers de Rio, dès la première année de la pacification. Vidigal, c’est le dernier lieu à la mode, un peu comme le fut le morro Santa Teresa au début des années «Lula» (2003-2011) : un quartier populaire désormais peuplé d’artistes venus dumonde entier, de villas surprotégées, de pousadas (des maisons d’hôte assimilées à des hôtels) estampillées qualité durable et de restaurants branchés. Moins d’un an après la pacification, la favela où il ne faisait pas bon traîner accueille les fils et filles de bonne famille qui viennent s’encanailler. Ils y organisent par exemple leurs soirées «Luv». Le terme (proche de love, « amour » en anglais) laisse deviner le programme de ces rendez-vous de noctambules clubbeurs : des DJ branchés font vibrer les enceintes dans des lieux investis pour l’occasion, et tout le monde se presse au portillon. Rien à voir avec les bailes (bals) funk d’avant la pacification, où la jeunesse dorée n’osait s’aventurer. Aujourd’hui, c’est l’inverse : l’entrée tarifée – jusqu’à 80 reals, environ 30 euros (soit un septième du salaire minimum mensuel) – est rédhibitoire pour les bourses les moins garnies. Le metteur en scène Guti Fraga, directeur de l’association Nós do Morro (littéralement, «Nous de la colline»), qu’il a implantée en 1986 sur cette butte pour y développer un projet d’intégration par la culture, a lui aussi connu ces années où cohabitaient le quartier, reconnaissable à sa voirie et à ses habitations légales et authentifié comme tel par la municipalité, et la favela, zone «hors cadastre» dont les plaques rouges ont peu à peu grignoté le vert dumorro. A côté de Leblon, la favela Praia de Pinto fut incendiée en 1969 pour expulser les quelque vingt mille pauvres qui y vivaient, relogés dans des complexes de logements sociaux comme la sinistre Cidade de Deus («Cité de Dieu»).


 
 
A Vidigal, la menace est de retour, et son cheval de Troie se nomme pacification. Et Fraga de désigner le restaurant français qui doit ouvir ici prochainement : « Est-ce que ce sera pour les gens d’ici ? » Le projet d’hôtel cinq étoiles « accueillera-t-il les gens du Nordeste [la région pauvre d’où est originaire la majorité des habitants de Vidigal]» ? Et l’auberge de jeunesse, située au sommet et tenue par un Autrichien, « est-elle destinée aux gens d’Alemão [la grande favela à plus d’une heure de route] qui veulent aller à la plage le week-end » ? Comme le confie um capitaine de police, « Vidigal est devenu une attraction touristique où les Européens viennent prendre de jolies photos ». Ou investir pour de bom dans ce terrain dont la cote est à la hausse... « A Rio, plus de deux millions de personnes vivent dans plus de neuf cents favelas : tout cela constitue une bonne affaire pour celui qui est prêt à l’aventure, qui a la capacité d’anticiper le changement structurel d’une ville en pleine mutation», observe Luiz César Queiroz Ribeiro, directeur de l’Institut de recherche et de planification urbaine et régionale (Ippur) de l’Observatoire des métropoles. Son laboratoire universitaire s’est intéressé aux enjeux de la propriété foncière à Rio, un cas d’école pour un pays où beaucoup, riches ou pauvres, se sont logés sans base légale, au gré de la spoliation (un riche accapare un terrain par la force) ou des invasions (des pauvres envahissent un espace par le nombre). «Le Brésil, c’est l’actuelle “bola da vez” [balle de match]. Toute cette spéculation immobilière qui se déplace dans le monde, du Sud-Est asiatique à l’Espagne, s’installe aujourd’hui ici. » L’économie – qui semble stable comparée à la tempête que traverse l’Europe – attire d’autant plus les investisseurs que l’immobilier demeure bom marché. «Depuis 2005, poursuit Queiroz Ribeiro, ce mouvement de fond se met en place em s’appuyant sur le tourisme et la perspective de mégaévénements comme la Coupe du monde et les Jeux olympiques. Dans un tel contexte, classique, de spéculation urbaine, contrôler le territoire.
 
 
JANVIER 2013 – LE MONDE diplomatique
Quand l’homme le plus riche du pays finance directement la police Les DJ branches ont remplacé les bals funk Gabeira, tête de liste battue au second tour des municipales de 2008, se montre catégorique:
«Certains ont eu des informations de l’intérieur sur
l’application de la pacification [lire l’article ci-contre].
Ils ont anticipé en investissant aux alentours
immédiats des zones pacifiées. Les facteurs de risque
sont repoussés vers les quartiers les plus pauvres de
la périphérie. Les hôpitaux psychiatriques sont
implantés dans la zone Ouest, ainsi que les pénitenciers
et l’enfouissement des déchets. Avec la pacification
de la zone Sud, les trafiquants ont déménagé
à la périphérie. »
Conséquence : la ville s’agrandit encore et toujours,
repoussant ses limites administratives, mais
aussi ses problèmes. Malgré ses quelque douze
millions d’habitants, l’agglomération de Rio a connu
une vertigineuse chute de sa densité : huit mille
habitants au kilomètre carré, deux fois moins qu’en
1960 ! M. Sergio Magalhaes, directeur du service
des logements de la ville, y décèle le talon d’Achille
de Rio : « L’expansion de la ville débouche sur une
équation impossible pour les services publics. Les
rendre accessibles à tous représente un coût
structurel énorme ! »
Pourtant des solutions existent à ce mallogement
qui concerne plus de quatre cent mille
personnes, selon M. Marcelo Braga Edmundo,
coordinateur national de la Centrale des mouvements
populaires. «10% du déficit national de
logements se concentre à Rio. La solution ne réside
pas dans les constructions en périphérie mais dans
l’occupation des milliers d’immeubles vides. C’est
un choix politique. Le maire Eduardo Paes a favorisé
Vers la ville-entreprise
«POUR la préparation des Jeux olympiques de 2016,
explique l’architecte Carlos Fernando Andrade,
membre du Parti des travailleurs, le modèle a été
Barcelone. C’est une obsession depuis 1993 ! Dès
cette date, les Catalans sont venus ici vendre leurs
services. Leur stratégie a été de penser la ville comme
une entreprise. Et, dans cette logique, il fallait un
éphéméride de grands événements. »
En 2013, la ville accueillera donc les Journées
mondiales de la jeunesse, après le sommet Rio + 20
en 2012 et avant la Coupe du monde de football en
2014.M. Luiz César Queiroz Ribeiro, directeur de l’Institut
de recherche et de planification urbaine et régionale
(Ippur) de l’Observatoire des métropoles, perçoit
dans ce processus de gentrification programmée un
changement profond de l’identité originale de Rio, où
des classes socialement éloignées vivaient jusqu’ici
dans une certaine proximité géographique. «Cela a
favorisé une convivialité faite de conflits et de convergences,
un dialogue inédit que cristallise la samba.
L’avenir, au contraire, suggère une ville stratifiée en
fonction des revenus. Dans cette perspective, les jours
des favelas sont comptés. L’architecture va peut-être
demeurer, comme une chose exotique, mais la
dynamique du marché va gober les habitants, des
consommateurs en puissance. »
Le Parti vert est l’un des plus virulents sur ce bilan
en trompe-l’oeil, dénonçant toute une série d’opérations
douteuses à l’occasion des Jeux olympiques
qui favorisent la spéculation : le choix, par exemple,
de privilégier le bus et non le métro, sachant que les
entreprises privées qui détiennent les bus sont des
soutiens financiers pour les politiques. M. Fernando
Pacification musclée
Faire de la capitale
de la bossa-nova
une vitrine commerciale
des investissements publics qui bénéficieront à la
sphère privée. Et les Jeux olympiques, qui auraient
pu profiter à tous, s’annoncent comme une gigantesque
catastrophe pour les classes populaires, qui
vont en payer le prix fort. En leur nom, on ignore le
plan directeur établi par la loi. De même, la taxe
IPTU [un impôt progressif frappant les propriétaires
de logements vacants] n’est pas appliquée. » Ce
serait pourtant une solution légale à une partie du
problème des inégalités face au logement.
J. D.
 
habitants des favelas est un titre de propriété. »
Pour lui, posséder un titre officiel, c’est accéder à
la possibilité de le céder, et donc de faire, à son
tour, le jeu du «marché ». «Eike Batista, l’homme
le plus riche du Brésil, qui a investi à titre gracieux
des millions dans les équipements de l’UPP, est
propriétaire de grands groupes immobiliers. Il a
tout intérêt à financer cette politique, dont il aura
les dividendes dans un second temps, en
accaparant une partie de ces territoires. » Pour de
Souza e Silva, la solution est ailleurs, hors des
logiques spéculatives…
 
 
 
toire, c’est aussi donner des gages au capital. Il
faut donc régulariser et réguler l’occupation des
sols. » L’enjeu principal ? «Permettre au marché
d’accéder à ces zones informelles, et donc établir
les bases juridiques de la propriété foncière. » Ou,
pour le dire autrement, moderniser le pays pour
permettre aux investisseurs de mieux s’y épanouir.
Ainsi, pour favoriser de futures transactions,
les autorités ont mis en place un programme de
régularisation foncière dans ces favelas que le
cadastre ignorait depuis une loi de 1937 (abrogée
en 1984, sans que la situation des terrains ne soit
vraiment clarifiée). L’hebdomadaire Veja (1) daté
du 4 juillet 2012 se réjouissait ainsi que, «dans un
rayon de cinq cents mètres autour de l’UPP de
Vidigal, les prix [aient] augmenté de 28% de plus
que dans le reste de la ville ». Il est déjà de plus en
plus difficile pour les Cariocas de la classe B (2),
pourtant aisés, de s’installer dans le quartier de
Leblon, juste à côté.
«Longtemps, les favelas ont été considérées
comme des aires provisoires. Il était admis qu’elles
devraient disparaître avec le développement. Mais
comme celui-ci a tardé à venir, le gouvernement a
décidé tantôt de les éliminer, tantôt de les laisser
pousser ici et là. » M. Sergio Magalhaes, directeur
LA SCÈNE pourrait se passer dans
n’importe quel quartier de la ville : une
patrouille de police qui déboule en
trombe et aggrave un peu plus l’embouteillage.
Mais il faut se trouver dans
une favela « pacifiée » de Rio de Janeiro
pour observer une jeune femme tentant
de raisonner la police et se voyant répliquer,
par des cris, qu’il vaudrait mieux
« ne pas insister » parce qu’après tout,
« nous sommes les chefs ici ». Depuis
2009, les habitants de la favela de
Pavão-Pavãozinho le disent : « La
colline a changé de patron. » Les trafiquants
ont cédé la place à la police, les
armes et le pouvoir ayant simplement
changé de mains. Il s’agit, ici, du
résultat le plus flagrant d’un programme
datant de 2008 : la « pacification » des
favelas. Mais son impact n’est pas
toujours aussi négatif.
« Os donos do morro » («Les maîtres
de la colline »), c’est le titre que l’équipe
du Laboratoire d’analyse de la violence,
dirigée par le sociologue Ignacio Cano,
a choisi pour son étude (parue en
mai 2012) sur la pacification à Rio (1).
Les travaux montrent que, bien qu’incomplet
et imparfait, le dispositif offre
des résultats incontestables en matière
de sécurité. «Dans les treize premières
favelas pacifiées de Rio, le nombre de
morts violentes a baissé de 70%et celui
des décès dus à des interventions
policières est désormais proche de
zéro », nous explique le sociologue.
Critique de longue date de la violence
des forces de l’ordre, Cano ne pouvait
pas être accusé d’idolâtrie sécuritaire.
Et son rapport n’épargne pas les bavures
policières et les choix stratégiques
douteux : « Il aurait été bien plus
judicieux de pacifier d’abord les favelas
les plus violentes. Mais le choix s’est
fait en fonction des grands événements
sportifs, pas de la réalité de la criminalité.
» Le colonel Robson Rodrigues,
de la police militaire de Rio, une des
têtes pensantes du projet de pacification,
le reconnaît volontiers : «Ce sont bien
les Jeux olympiques [prévus en 2016]
qui dictent notre choix. Je dirais même
que, sans ce rendez-vous, cette politique
n’aurait jamais vu le jour. »
C’EST de ce que l’on appelle à Rio une
«conjoncture exceptionnelle» qu’est née
la pacification : en 2009, la ville gagne
l’organisation des Jeux et, pour la
première fois, l’ancien président Luiz
Inacio Lula da Silva (du Parti des travailleurs,
gauche), le gouverneur de l’Etat
Sérgio Cabral et lemaire de Rio Eduardo
Paes (tous deux du Parti du mouvement
démocratique brésilien [PMDB], centre
droit) scellent une alliance politique.
Depuis longtemps déjà, la lutte contre
les factions criminelles de Rio ne produit
quasiment aucun résultat, si ce n’est un
nombre toujours plus élevé de morts, en
particulier chez les jeunes Noirs. Un petit
groupe de policiers est donc envoyé à
Boston en 2005 pour analyser l’opération
Cease fire («Cessez-le-feu »), menée
dans les quartiers pauvres (et noirs) de la
ville. L’idée est de créer une unité de
police de proximité, à l’opposé du
principe de « tolérance zéro » défendu
par le maire de New York Rudolph
Giuliani entre 1994 et 2001. A Boston
et à Rio, la police concentre ainsi ses
efforts sur les armes et renonce à lutter
contre le trafic de drogue, même si la
tâche s’avère plus ardue au Brésil, où il
lui faut également reconquérir l’accès à
des territoires où elle ne s’aventurait
qu’épisodiquement et toujours dans un
débordement de violence.
La première opération a lieu en 2008 :
aidé par une agence de communication,
M. Cabral lance le terme de « pacification
» (qu’on n’utilisait pas à Boston).
Depuis, certains symboles demeurent :
la police d’élite des Bataillons d’opérations
spéciales (BOPE) – rendue célèbre
par le film Tropa de elite (2007), l’un
des plus grands succès commerciaux du
cinéma brésilien – plante son drapeau au
milieu du territoire. Une façon de bien
signaler le «changement de propriétaire».
Ensuite, le territoire nouvellement
conquis est passé au peigne fin, une phase
qui peut durer un an dans certains grands
complexes de favelas, avant que ne s’installe
une unité de police de pacification
(UPP). Dans le souci d’éviter la
violence, les opérations sont annoncées
à l’avance afin que trafiquants et armes
puissent disparaître. La majorité des
pacifications se sont ainsi déroulées sans
tirer une seule balle.
UNE FOIS l’UPP établie, se met en
place la deuxième phase, celle où intervient
l’UPP sociale, « une composante
essentielle sans laquelle la politique de
sécurité ne peut pas réussir », insiste le
colonel Rodrigues. L’objectif est d’installer
des services publics et de créer
des équipements destinés à dynamiser
l’économie locale. « Sur le papier, le
projet est merveilleux, mais, dans les
faits, il y a peu de moyens et aucune
démocratie », déplore l’urbaniste Neiva
Vieira da Cunha.
On reproche à la ville de construire
de coûteux téléphériques sur les collines
alors que les résidents demandent en
premier lieu des hôpitaux et des services
d’assainissement. D’autre part, les
habitants n’ont pas voix au chapitre non
plus lorsque la ville les expulse sans
ménagement sous des prétextes parfois
fallacieux, comme le fait qu’ils vivent
dans des zones à risque. «Toutes les
favelas pourraient être considérées à
risque. En réalité, la ville se débarrasse
de ceux qui vivent en hauteur pour créer
des points de vue sur Rio. Ils se moquent
que des gens y habitent depuis toujours,
comme à Santa Marta, la première
favela à avoir été pacifiée », ajoute
l’urbaniste. Dans celle de Providencia,
en haut du port, les habitants sont
expulsés pour laisser la place à un projet
touristique en lien avec les Jeux. Pour
eux, la pacification a un goût bien amer.
Ailleurs, certains changements sociaux
et économiques sont déjà visibles. Pour
Cano, c’est même l’un des effets les plus
positifs de la pacif ication : « La
diminution de la stigmatisation des
favelas est réelle ; les habitants ne
ressentent plus le besoin de cacher leur
adresse au moment de chercher du
travail.» Ils obtiennent enfin des emplois
légaux. Cela suffira-t-il à éloigner les
jeunes du trafic de drogue ? «Le trafic
n’est pas seulement une histoire d’argent,
mais aussi de pouvoir. En enlevant les
armes, la pacification a cassé les
bastions et le trafic a perdu beaucoup
de son attrait», estimeM. Rubem Cesar,
directeur de l’organisation non gouvernementale
Viva Rio, qui oeuvre depuis
vingt ans dans les favelas. Un attrait que
n’a pas encore la police, surtout quand
elle se croit, comme c’est parfois le cas,
en terrain conquis et reproduit la forme
de contrôle social autoritaire qu’elle est
censée combattre.
(1) Laboratório de Análise da Violência, «Os
donos do morro » : uma avaliação exploratória do
impacto das unidades de polícia pacificadora (UPP)
no Rio de Janeiro, Université fédérale de Rio de
Janeiro, 2012.
du service des logements de la ville de 1993 à 2000
et actuel président de l’Institut des architectes, fut
à l’initiative du programme Favela Bairro, souvent
cité en exemple, qui concernait cent cinquantecinq
favelas. «En 1993, trois, quatre générations
avaient grandi sur ces terrains : la situation n’était
clairement plus transitoire. Il fallait reconnaître cet
état de fait et faire des favelas de vrais quartiers. »
Après avoir favorisé le déplacement des
populations en périphérie – entre 1962 et 1974,
plus de cent quarante mille habitants furent
envoyés en périphérie, et quatre-vingts favelas
rasées à Rio –, les pouvoirs publics envisagent
enfin de construire un avenir sur place, en tenant
compte de l’histoire et de l’avis des habitants. La
Banque interaméricaine de développement (BID)
y consacrera 600 millions de dollars, auxquels
s’ajouteront 250 millions du gouvernement fédéral
et une aide de la ville.
Vingt ans après cette première tentative de
réorganisation, suivie d’autres programmes (Bairrinho,
Morar Legal, ou encore Novas Alternativas),
des associations et des particuliers ont engagé des
démarches pour obtenir des titres de propriété
officiels. Plus de deux cents titres auraient été
délivrés, en attendant lesmilliers d’autres – Combien
exactement ?, nul ne le sait, puisque nul ne sait
combien de gens vivent là. Vingt mille, quarante
mille, soixante mille habitants ? A chacun ses
chiffres. Le dénommé Roque fait partie du nombre,
depuis 1976. Ce natif de Bahia se réjouit de l’intérêt
croissant des gringos (les étrangers venus du
«Nord»), source de profit : une voisine a multiplié
par cinq sa mise de départ. Pour autant, pas
question pour lui de céder sa maison, un sommaire
deux-pièces construit de ses mains en 1995. Le
septuagénaire fait valoir son droit du sol – entendre
un sentiment d’appartenance à une communauté
qui n’a pas de prix. «A l’époque, j’avais eu un reçu
de la part de l’association des habitants. Aujourd’hui,
j’attends le titre de propriété officiel. Ça donnera
un peu d’argent à mes enfants quand je mourrai,
mais je ne veux pas quitter mon quartier ; c’est
ma vie. »
Cette régularisation est aussi synonyme d’intégration
idéologique de ces zones morcelées,
autrefois régies par d’autres lois foncières, bâties
par les habitants eux-mêmes. Le sociologue
Jailson de Souza e Silva, tête pensante de l’Observatoire
des favelas, y décèle la «base d’une gentrification
». «Beaucoup sont tentés de vendre des
biens qui ont désormais une vraie valeur. Je
soutiens que la dernière chose à donner aux
habitants des favelas est un titre de propriété. »
Pour lui, posséder un titre officiel, c’est accéder à
la possibilité de le céder, et donc de faire, à son
tour, le jeu du «marché ». «Eike Batista, l’homme
le plus riche du Brésil, qui a investi à titre gracieux
des millions dans les équipements de l’UPP, est
propriétaire de grands groupes immobiliers. Il a
tout intérêt à financer cette politique, dont il aura
les dividendes dans un second temps, en
accaparant une partie de ces territoires. » Pour de
Souza e Silva, la solution est ailleurs, hors des
logiques spéculatives…
Ce n’est pas le point de vue du maire,
M. Eduardo Paes, qui a été réélu dès le premier
tour, le 7 octobre 2012, avec près de 65%des voix.
Un plébiscite pour ce centriste qui, outre l’appui
du Parti des travailleurs, a bénéficié du vote des
favelas, fort d’un bilan tout à sa gloire : il restera le
maire de la pacification et l’artisan des grands
chantiers urbanistiques, dont l’exemplaire projet
Porto Maravilha, qui vise à transformer tout le
quartier portuaire, non loin du centre historique
longtemps déconseillé la nuit, en une gigantesque
zone commerciale et touristique, avec des
habitations rénovées et des ateliers d’artistes. Et
sa prochaine mandature se terminera en beauté
avec les Jeux olympiques, qui devraient parachever
le retour sur le devant de la scène internationale
de l’ex-capitale, détrônée par le dynamisme économique
de São Paulo.
Centre de service et pôle naval majeur,
notamment avec le pétrole, Rio, plus que toute
autre ville, incarne l’identité brésilienne aux yeux
du monde entier. Une vision que vient confirmer le
classement par l’Organisation des Nations unies
pour l’éducation, la science et la culture (Unesco),
en juillet 2012, de la « cité merveilleuse » au patrimoine
de l’humanité. «Rio va devenir la vitrine
commerciale du marketing brésilien, prédit
M. Queiroz Ribeiro. Ce sera la carte de visite du
pays.» Depuis 2011, au sortir de l’aéroport, un
grandmur antibruit permet ainsi de cacher lamisère
sur l’avenue du Brésil.
JACQUES DENIS.
(1) Lire Carla Luciana Silva, «“Veja”, le magazine qui compte au
Brésil », Le Monde diplomatique, décembre 2012.
(2) La statistique brésilienne divise la société en cinq classes :
A (dont les revenus dépassent trente fois le salaire minimum),
B (de quinze à trente), C (de six à quinze), D (de deux à six) et
E (jusqu’à deux).
 
Site:
http://www.slideshare.net/AntoineDabonneville/rio-le-mondediplojan2013


 
 

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