"Où est Amarildo ?" En ce premier jeudi d’août, une nouvelle manifestation de rue pose cette question gênante. La famille, les habitants de la Rocinha et des militants des droits de l’homme sont réunis pour une marche, une de plus, devant l’entrée de la Favela. Au même moment, 300 personnes défilent par solidarité à São Paulo. Une enquête, prise en charge par les plus hautes autorités de l’Etat de Rio de Janeiro, est en cours. 15 jours après sa disparition, tout le monde veut savoir où est Amarildo de Souza. Il a disparu le 14 juillet vers 20h, après avoir été interpellé par la police, alors qu’il rentrait de la pêche. Agé de 47 ans, il était maçon et père de six enfants. Il avait grandi et toujours vécu à la Rocinha.L’homme a été arrêté dans le cadre de l’opération Paz Armada, qui a mobilisé 300 policiers pour interpeller des trafiquants dans la favela de la Rocinha. Selon la police, l’opération a conduit à l’arrestation de 30 individus parmi lesquels Amarildo. Après son arrestation, sa femme Elisabete est allée le voir à l’Unité de police pacificatrice (UPP) où on lui a dit qu’il rentrerait bientôt chez lui. Il avait été confondu avec un trafiquant. Le lendemain, les policiers ont indiqué à son fils qu’Amarildo n’était plus là, qu’il avait été libéré mais ils n’ont pas pu le prouver car les caméras de l’UPP étaient en panne ce jour-là. Amarildo n’est jamais revenu.
Une bataille pour savoir…
Depuis la disparition du maçon, sa famille mène une lutte sans relâche pour savoir la vérité sur ce qui est arrivé à celui qui était apprécié par tous dans le voisinage. Elle craint qu’il n’y ait plus d’espoir, mais la pression populaire ne faiblit pas. Amarildo est devenu un symbole que l’on retrouve lors de toutes les manifestations sociales. Le mot d’ordre "Où est Amarildo ?" incarne l’acte d’accusation d’une politique de pacification des favelas qui s’enlise dans une succession de bavures.
Déjà en juin, 10 personnes dont un policier ont trouvé la mort durant une descente de police dans la favela de Nova Holanda. Des manifestants bloquant la voie express de l’Avenida Brasil sont pris pour des trafiquants par les policiers et pourchassé à coup d’arme à feu à l’intérieur de la favela. Ces événements obligent les autorités à reporter sine die la pacification du complexe de la Maré, un des plus importants regroupements de favelas, situé au voisinage de l’aéroport international, prévue initialement avant la fin du mis de juillet.
Les forces de l’ordre sous surveillance
Ce qui est nouveau aujourd’hui, c’est que la pression populaire fonctionne. Dans l’affaire Amarildo, l’enquête avance. Dès le 18 juillet, quatre suspects, des policiers de l’UPP, sont éloignés de leurs fonctions. Le 24, la femme d’Amarildo est reçue en personne par le gouverneur de l’Etat de Rio de Janeiro, Sergio Cabral, qui lui promet de retrouver le corps de son mari. Elle rencontre ensuite le président de la Commission des droits de l’homme de l’Assemblée législative de Rio de Janeiro, Marcelo Freixo, pour qui "les principaux suspects sont les policiers de l’UPP". « La disparition d’Amarildo est une atteinte aux droits de l’homme" affirme ensuite solennellement le Procureur général de la justice de l’Etat de Rio de Janeiro, Marfan Vieira, qui supervise l’enquête.
"Le cas Amarildo, je m’en occupe personnellement", promet José Mariano Beltrame, le responsable à la Sécurité de l’Etat. Il confie l’enquête à la police des homicides qui dispose de pouvoirs élargis. Inimaginable il y a peu, dans des cas de ce genre, la police aurait tout fait pour étouffer l’affaire ou dédouaner les éventuels auteur de la bavure. Mais José Mariano Beltrame rappelle aussi une déclaration qu’il avait faite au début de l’année : un policier à chaque coin de rue ne fait pas une politique de pacification. Il est l’heure maintenant que l’Etat s’investisse dans des politiques sociales pour améliorer le quotidien des habitants des favelas.
Une police trop violente depuis trop longtemps
Depuis les manifestations de juin, les victimes innocentes de la violence continuent à mourir parmi les pauvres, mais elles ne sont plus anonymes. C’est encore insuffisant pour les résidents de la Rocinha. Leur mobilisation continue. Elle est vue avec sympathie par l’opinion publique. André s’est retrouvé bloqué alors qu’il rentrait du travail, par une marche des habitants de la Rocinha qui avaient coupé la route très fréquentée qui longe la favela. L’action s’est déroulée pacifiquement et André comprend : "La disparition d’Amarildo et l’action de la police, c’est absurde". Selon lui, "cette pratique existe depuis que le Brésil est le Brésil, le problème c’est que les policiers militaires ont des salaires misérables, ils sont donc obligés d’être corrompus pour vivre et se protéger, ils n’ont pas le choix".
La section de Rio de Janeiro de l’ordre des avocat (OAB/RJ) vient de diffuser à ce propos les résultats d’une recherche menée à l’Université Fédérale de Rio de Janeiro par le sociologue Michel Misse qui comptabilise 10’000 morts entre 2001 et 2011 provoquées par des confrontations avec la police. Le chiffre impressionne ce spécialiste de l’étude de la violence en comparaison internationale. « La police de Rio tue plus que partout ailleurs. Aux Etats-Unis, où les forces de l’ordre sont connues pour leur brutalité, elles font annuellement un mort pour 1 million d’habitants alors qu’à Rio c’est un mort pour 16’000 habitants ! »
Pour Michel Misse, l’absence d’indignation de l’opinion publique face à ce scandale est une des raisons qui expliquent que les choses ne changent pas. La campagne de l’OAB/RJ veut faire pression sur les autorités pour qu’elle fournissent des informations détaillées à propos de chaque personne décédée de cette façon, notamment les noms des policiers impliqués, aux fins d’analyse et pour permettre aux familles des victimes de porter la chose en justice.
La politique de pacification sur la sellette
La nouvelle politique de pacification mise en place par les autorités depuis 2010 n’a rien changé à cet état de fait. Aujourd’hui, il y a moins de violence dans les favelas, mais pas de la part des forces de sécurité. Parmi les habitants de la Rocinha, la méfiance est à nouveau de mise. Ils ne font plus confiance ni aux politiciens, ni aux médias et encore moins à la police. "Le plus choquant, c’est la disparition. Le corps doit réapparaître, il ne peut pas en être autrement. Les UPP sont là pour nous protéger, mais ils sont corrompus, ils ont pris un frère, ils l’ont fait disparaître, on ne peut pas les laisser tuer un travailleur sans raison. Il faut enlever ces unités de police des favelas", lâche un habitant en colère. Pour lui, les forces de l’ordre font plus de mal que de bien.
Si rien encore ne permet de prouver la responsabilité de la police dans cette affaire, les soupçons sont lourds. Et mettent à mal le consensus autour des succès de la politique de pacification de Rio de Janeiro. Le commandant de l’Unité de la Rocinha, le major Edson Santos, en poste depuis début 2012 a été destitué. Durant plusieurs semaines, des manifestants ont campé dans la rue, devant le domicile privé du Gouverneur Sergio Cabral, dans le quartier de Leblon. Ils réclamaient une inversion des priorités entre les efforts consacrés aux réalisations pour les JO et les urgences nécessaires pour améliorer la politique de pacification des favelas.
Le Gouverneur pris dans la tourmente
Délogés avec force par la police, qui a ensuite été accusée de brutalité sans discernement, ces « occupants de la voie publique» ont soulevé un immense élan de sympathie et obligé le Gouverneur à faire son autocritique : il a publiquement admis avoir eu « une attitude trop arrogante à l’égard des manifestants » et de n’avoir pas consacré « suffisamment d’énergie à dialoguer avec la population ».
Malgré ces excuses publiques, sa cote de popularité continue à dégringoler. Il avait été réélu en 2010 par plus de 50% des votants, un sondage Ibope le crédite, fin août 2013, de moins de 12% d’approbation. 60% des personnes interrogées juge son gouvernement mauvais ou très mauvais. Sergio Cabral se sait confronté aujourd’hui à un sérieux défi s’il veut réussir à faire élire son successeur désigné, le Vice-gouverneur Luiz Fernando Pezão en octobre 2014.
Car la candidature de ce dernier subit par contre coup ce revers de popularité. Le cas Amarildo n’est plus une simple affaire policière. Son retentissement est sans doute un pas pour qu’un tel événement n’arrive plus. Et que la pacification des favelas retrouve un second souffle. Sous le contrôle citoyen vigilants de ses habitants. (Collaboration, Damien LARDERET http://www.lepetitjournal.com – Brésil)